Ingénieurs aéronautiques

Source: Le Monde

Les écoles d’ingénieurs en pleine mue pédagogique

Les établissements ambitionnent de former des jeunes capables de prendre part à la transition écologique dans l’aéronautique

Margherita Nasi

Sommes-nous aux prémices d’une nouvelle ère de l’aviation ? C’est avec cette hypothèse exaltante que Bertrand Piccard s’est adressé aux 2 400 étudiants de l’école d’ingénieurs aéronautique et spatiale IPSA, lors de la cérémonie 2022 de remise des diplômes. L’explorateur, connu pour avoir été le premier à réaliser un tour du monde en ballon sans escale et en avion solaire sans carburant, a livré un récit de l’aéronautique décomposé en deux phases.

Une période téméraire, d’abord, inaugurée par le premier vol motorisé des frères Wright, il y a cent vingt ans, marquée par le franchissement du mur du son, ou encore l’atteinte de la Lune. Puis une seconde phase, plus tempérée, caractérisée par de l’optimisation, avec la conception d’avions plus efficients, sûrs et confortables, tout au long de ces soixante dernières années. L’aventurier suisse conclut en exhortant les étudiants à reprendre la voie de l’innovation : « C’est l’avion que vous allez construire qui pourra transporter des centaines de passagers de façon propre. Mettez-vous au travail. »

Le défi suscite des vocations. Au printemps 2022, plus de 10 000 jeunes diplômés ou étudiants ont été interrogés sur leurs entreprises préférées dans le cadre du palmarès Epoka-Harris Interactive en partenariat avec L’Etudiant. Alors que l’aéronautique battait de l’aile dans le classement précédent, elle figure désormais parmi les recruteurs potentiels privilégiés par les sondés.

Un effet « Top Gun »

Le groupe Airbus est le plus cité comme employeur de référence. Les écoles d’ingénieurs spécialisées en aéronautique connaissent également un regain d’intérêt. A l’IPSA, le nombre de candidats a augmenté de 12,5 %, entre 2022 et 2023. « Le marché recrute, et il y a eu un effet Thomas Pesquet dans l’accroissement de vocations pour le spatial, ainsi qu’un effet Top Gun pour l’aviation », résume Anne-Ségolène Abscheidt, directrice générale de l’IPSA.

Adrien Treille, 20 ans, étudiant à l’IPSA, met en avant l’envie de participer à la transition écologique du secteur : « J’ai fait un stage comme assistant ingénieur dans l’aviation d’affaires, de plus en plus décriée en raison des jets privés. Dès mon entretien d’embauche, on m’a questionné sur les impacts de l’aérien sur l’environnement. Comme pour beaucoup de mes camarades, cet enjeu n’est pas un frein à ma motivation, mais un moteur. Les aspirants ingénieurs en aéronautique ont toujours été des passionnés, là nous sommes des pionniers. »

Alors que la filière renoue avec la croissance, les écoles travaillent sur leur attractivité. Les femmes représentent un vivier important de recrutement : elles ne représentent que 27 % des embauches – un résultat « à mettre en relation avec des taux de féminisation plafonnant à 20 % en moyenne dans nos principales formations scientifiques et techniques », selon le dernier rapport du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas). Les écoles multiplient les opérations de sensibilisation auprès des lycéennes et les partenariats avec des associations prônant l’égalité femmes-hommes dans les secteurs industriels.

Une Fresqu’Aéro

Les étudiants internationaux constituent une autre source potentielle de candidats. Engagée dans une quête de talents, l’ISAE-Supaéro a considérablement accru son pourcentage d’élèves internationaux, tous cursus confondus : 14 % lors de sa création, en 2007, contre 40 % aujourd’hui. L’Ecole nationale de l’aviation civile (ENAC) travaille également son attractivité à l’étranger : « L’aéronautique doit entamer une mue environnementale. Et cela nécessite une coopération transfrontalière ; on ne peut pas imaginer qu’un seul pays fasse des efforts dans son coin », explique Mathy Gonon, directeur des études et de la recherche à l’ENAC.

En plein questionnement écologique, la filière planche sur des avions plus légers et performants, des motorisations différentes, des voies aériennes plus directes, des opérations de sol plus efficientes, analyse Stéphane Roberdet, directeur associé de l’IPSA : « L’industrie s’apprête à fabriquer des appareils totalement innovants, nous devons former des ingénieurs pour répondre à leurs besoins. Notre programme va fondamentalement changer. »

L’ISAE-Supaéro a développé des premières formations liées à la transition écologique dès 2014. « A l’époque, le sujet ne semblait pas passionner les jeunes. Aujourd’hui, la majeure Energie, transport et environnement est la plus plébiscitée par les étudiants », souligne son directeur général, Olivier Lesbre. En 2020, l’établissement a opéré une mutation en faveur de la transition écologique, abordée dès le tronc commun et placée au cœur de la recherche.

Pionnière dans le déploiement de la Fresque du climat, dès 2015, l’ISAE-Supaéro a conçu, en partenariat avec l’ENAC, une Fresqu’Aéro. L’outil a également été adopté par l’IPSA, qui planche sur les leviers technologiques à intégrer dans le programme dès la rentrée 2023, explique Stéphane Roberdet : « On reprend tout de zéro, en commençant dès la conception de l’avion, dans lequel on trouve beaucoup de matériaux rares. Comment concevoir un appareil qui soit, à terme, recyclable ? »

Anne-Ségolène Abscheidt invite à prendre ces sujets avec précaution :« Attention à ne pas se précipiter sur des solutions qui ont l’air évidentes, mais qui sont questionnables éthiquement. » Ainsi des SAF, ou carburants d’aviation durable : produits en partie issus de ressources renouvelables, ils auraient un potentiel limité de réduction des impacts environnementaux en comparaison du kérosène fossile, en raison de leur impact sur les écosystèmes naturels. Alors que les effets du dérèglement climatique s’aggravent, les futurs ingénieurs en aéronautique sont attendus au tournant, aussi bien pour leurs connaissances techniques que pour leur esprit critique.