Source: Le Monde
Ingenuity, l’increvable hélicoptère de la Planète rouge
EspaceL’engin de la NASA a volé, à ce jour, 56 fois sur Mars. Un succès total pour une mission que personne n’imaginait durer si longtemps
Hugo Ruher
On le croyait perdu. L’hélicoptère martien Ingenuity, déposé à la surface de la Planète rouge avec le rover Perseverance en avril 2021, est resté silencieux après son 52e essai, le 26 avril, pendant soixante-trois jours. Le 30 juin, la NASA annonçait avoir retrouvé, à l’endroit prévu, le petit engin de moins de 2 kilos, qui ne dépasse pas les 50 centimètres de haut. Sa « disparition » n’était due qu’à un problème de communication avec le rover, en raison des reliefs alentour qui empêchaient les antennes de se relier. Il a suffi que Perseverance se déplace un peu pour que les deux engins se captent de nouveau ! Et cette aventure qui, même selon les esprits les plus optimistes de l’agence spatiale américaine, n’aurait dû être qu’éphémère peut continuer.
« Ingenuity a dépassé de deux ans sa mission initiale, qui devait durer trente jours, résume le chef de ce projet, Joshua Anderson. Et, de ce que nous savons, il est toujours en pleine forme ! Même si, désormais, chaque vol comporte de plus en plus de risques. » En effet, il n’y a pas que le temps passé sur Mars qui pousse le petit hélicoptère dans ses retranchements. Il se trouve désormais dans un environnement très différent de ce pour quoi il a été conçu.
Initialement, Ingenuity n’était qu’une mission secondaire. Un petit bonus, littéralement, raccroché par un câble à l’imposant et ambitieux rover Perseverance. « C’était une toute petite équipe d’une vingtaine de personnes à peine, se souvient Farah Alibay, ingénieure au Jet Propulsion Laboratory, qui a participé aux deux projets. C’est une manière très différente de travailler : moins de paperasse, moins de paliers de décision, plus de fun ! L’impression d’avoir une équipe à taille humaine, même si nous étions en pleine pandémie et que je n’ai rencontré réellement mes collègues, pour la plupart, que bien plus tard ! »
Démonstration technologique
Arrivée tardivement sur le projet Ingenuity, Farah Alibay était chargée de s’occuper de la coordination de l’hélicoptère avec le rover. Après les millions de kilomètres parcourus par les deux engins lancés six mois plus tôt, l’enjeu était de gérer, au centimètre près, la relation entre eux pour ne pas gêner leurs premiers pas sur le sol martien. Ingenuity ayant été fixé sous le rover, il a fallu le poser délicatement au sol, puis que Perseverance se déplace afin de le libérer entièrement.
Une fois cette prouesse réalisée, l’équipe a organisé les cinq premiers vols d’Ingenuity, correspondant à sa mission. Il s’agissait, pour l’essentiel, de savoir s’il était possible de faire voler un hélicoptère sur Mars. Une démonstration technologique avant tout, indépendante de la mission scientifique. Cet objectif ayant été atteint haut la main, les ingénieurs ont voulu savoir jusqu’où Ingenuity pouvait aller – ce n’est pas tous les jours que l’on peut travailler avec un engin volant sur Mars !
Une extension de mission enthousiasmante. Mais, vers la fin de l’année 2021, la situation s’est corsée. A l’arrivée de l’été martien (ce qui est une bonne chose pour les panneaux solaires), les températures ont augmenté, mais la densité de l’air a diminué. Dans ces conditions, il devenait difficile de brasser suffisamment d’air avec les pales. L’appareil n’était pas conçu pour des conditions trop difficiles. « De nombreux composants d’Ingenuity sont des produits standards de l’industrie téléphonique », rappelle Joshua Anderson. « Il subit des choses qu’on ne fait jamais en ingénierie !, renchérit Farah Alibay. Mais il résiste malgré tout, ce qui est à chaque fois une source d’émerveillement. »
Malgré les conditions défavorables, Ingenuity doit essayer de voler, même si cela signifie faire tourner ses rotors plus vite pour brasser le peu d’air existant à cette période de l’année. Il s’en sort à merveille. Six mois plus tard surgit un autre défi, quand l’hiver martien lui inflige des nuits à − 90 °C. Là aussi, il tient bon. « Depuis, l’équipe tente de nouvelles choses, raconte Farah Alibay. Des changements sur le logiciel de bord pour comprendre l’effet des saisons sur ses capacités de vol, des vols de reconnaissance pour guider Perseverance… Ça ne s’arrête plus ! »
Tout est fait pour préserver l’énergie au maximum et faire durer chaque élément et chaque composant au-delà de ce qui avait été prévu. Un petit miracle d’ingénierie qui semble, chaque fois, être le dernier. Sauf que l’hélicoptère surprend toujours en s’en sortant brillamment. « Il n’y a pas vraiment d’explication à cette solidité, reconnaît Farah Alibay. Quand nous faisons les tests en laboratoire, nous prévoyons toujours une marge pour aller plus loin en cas de besoin, mais nous ne pensions pas que ce serait à ce point ! »
Une architecture étudiée de près
L’équipe chargée de son trajet reste très prudente pour ne pas perdre l’appareil à la suite d’une erreur de pilotage. Mais il lui est permis de prendre un peu plus de risques étant donné que l’hélicoptère a montré, à de nombreuses reprises, une solidité à toute épreuve. Il avait atteint, le 13 avril, les 18 mètres d’altitude – son record.
« Il y a toujours une inquiétude, nuance Farah Alibay. Si vous laissez votre enfant à l’école, vous êtes très inquiet le premier jour, puis ça va mieux, mais ça ne disparaît jamais vraiment ! » Et le garnement continue de susciter des frayeurs chez l’équipe au sol. Comme lors du vol du 22 juillet, son premier après les retrouvailles avec Perseverance, qui a été écourté avec le déclenchement de l’atterrissage d’urgence au bout de soixante-quatorze secondes. En cause, manifestement, un problème de synchronisation entre sa caméra et la centrale inertielle, qui lui sert à se localiser.
Ingenuity a repris, depuis, son exploration. Il a même réussi son 56e vol, le 25 août, allant se poser 410 mètres plus loin. Il fait désormais pleinement partie de la mission en tant qu’assistant de Perseverance, pour lequel il mène des opérations de repérage avant les déplacements du fameux rover.
Même si Ingenuity s’arrêtait demain, la mission serait déjà considérée comme un véritable triomphe, au-delà de toutes les projections. « Ce succès a poussé la NASA à réfléchir à d’autres missions similaires, précise Joshua Anderson. Des hélicoptères encore plus développés pourraient être utilisés pour rapporter des échantillons de Mars. » Mieux : l’architecture d’Ingenuity est étudiée de près pour d’autres missions, notamment Dragonfly, une sonde qui compte voler sur Titan, un satellite de Saturne. « J’espère que d’autres missions volantes se développeront ailleurs encore, vers des mondes inexplorés, ajoute le chef du projet Ingenuity. Toutes se serviront certainement des données que nous avons récoltées. »