Source: Le Monde
Un regain d’intérêt pour l’exploration de la Lune
Pierre Barthélémy (Service Sciences)
ANALYSE
Par trois fois en cette fin d’été, la Lune a constitué la cible d’une mission spatiale. Le 19 août, l’atterrisseur russe Luna-25 a connu une anomalie lors de sa descente finale et s’est écrasé à la surface de notre satellite. Un échec empêchant Moscou de renouer avec son lointain et glorieux passé − en 1976, la sonde soviétique Luna-24 avait rapporté des échantillons de sol sélène − et illustrant cruellement la perte de savoir-faire du spatial russe dans les missions d’exploration. Autre son de cloche le 23 août, lorsque l’Inde est devenue la quatrième nation à se poser sur la Lune avec sa mission Chandrayaan-3. Enfin, le 7 septembre, le Japon a lancé sa sonde SLIM qui, si tout se passe bien, fera de lui le cinquième pays à atterrir sur notre satellite.
Même si chacune de ces trois missions s’avère de modeste envergure, ce triplé n’est pas anecdotique car il s’ajoute aux programmes majeurs conduits par les deux premières puissances mondiales : les Etats-Unis mènent en effet le programme Artemis (auquel participent aussi les agences spatiales européenne, canadienne et japonaise), qui a pour objectif de renvoyer des humains sur la Lune dans quelques années, tandis que la Chine, depuis 2007, franchit consciencieusement chaque étape de son projet Chang’e, avec de belles réussites comme le premier rover sur la face cachée de la Lune en 2019 et un retour d’échantillons l’année suivante. Pékin ne cache pas son ambition d’envoyer ses astronautes fouler le sol lunaire d’ici à 2030 et même d’y installer une base permanente.
Pourquoi ce regain d’intérêt pour l’exploration de la Lune, qui était tombée en désuétude après la fin du programme Apollo en 1972 ? Les raisons sont multiples, mais, comme l’ont montré les manifestations de fierté en Inde après l’atterrissage réussi de Chandrayaan-3, l’explication par le prestige national n’est pas à négliger. S’y ajoute aussi le fait d’appartenir au club très fermé des grandes puissances spatiales, synonyme de modernité et de technologies avancées. La Lune symbolise un esprit de conquête et il n’est pas étonnant de voir s’enthousiasmer pour elle un Narendra Modi, un Xi Jinping ou un Donald Trump, qui, pendant sa présidence, a lancé le programme Artemis.
Une installation pérenne
En revanche, il serait fallacieux de décalquer sur notre époque la course à la Lune des années 1960, en remplaçant l’URSS d’autrefois par la Chine. Avec les programmes Artemis et Chang’e, ni Washington ni Pékin ne cherche à prouver au monde la suprématie de son modèle de société, comme c’était le cas lors de la guerre froide. Mettre en concurrence Etats-Unis et Chine est assez largement factice car, même si des retards risquent d’empêcher les Américains de remarcher sur la Lune dès décembre 2025 comme ils le prévoient, leur maîtrise des techniques spatiales demeure bien plus avancée que celle de la Chine. Celle-ci continue à apprendre, avec le but affiché de rattraper son retard et de reproduire méthodiquement ce que ses prédécesseurs soviétique et américain ont réussi au XXe siècle.
Si la Lune redevient attractive, c’est aussi parce qu’elle est plus facile à atteindre. Au début des années 1960, seuls l’URSS et les Etats-Unis faisaient décoller des fusées et construisaient des sondes, des capacités dont disposent de nombreux pays aujourd’hui. On a ainsi vu une société israélienne tenter sa chance en 2019 avec l’atterrisseur Bereshit ou les Emirats arabes unis faire de même avec leur petit rover Rashid en 2023. Les deux missions ont échoué, mais un élan est donné, et les pays émergents du spatial osent de plus en plus quitter l’orbite terrestre. La Corée du Sud a ainsi, depuis décembre 2022, la sonde Danuri en orbite autour de la Lune. Il faut noter que les trois engins mentionnés ci-dessus ont quitté la Terre à bord de fusées Falcon-9 de SpaceX, la société d’Elon Musk, dont les tarifs sont les plus bas du marché : un accès moins cher à l’espace explique aussi en partie la recrudescence des missions.
Les acteurs du spatial sont désormais technologiquement mûrs pour une nouvelle étape, la création de stations, soit en orbite autour de la Lune comme le projet Lunar Gateway de la NASA et de ses alliés, notamment européens, soit à la surface même de notre satellite. L’idée est de passer de la phase de conquête initiale (les missions Apollo) à une installation pérenne, sur le modèle de ce qui s’est fait pour l’Antarctique, autre monde hostile, d’abord traversé par des raids éphémères et où l’on trouve désormais des bases permanentes.
Dans l’esprit des agences spatiales, la Lune va servir de terrain d’entraînement et de poste avancé pour ce qui sera sans doute la grande aventure de la seconde moitié du XXIe siècle : le vol habité vers Mars. Terrain d’entraînement, car il faudra apprendre plusieurs choses : construire un habitat protecteur sur un autre astre que la Terre en exploitant les ressources locales, se déplacer avec une gravité réduite, produire de l’énergie et de la nourriture… Poste avancé, car le Lunar Gateway est aussi présenté comme une sorte de station-service où de futurs vaisseaux d’exploration du Système solaire viendront faire le plein de carburant produit sur la Lune à partir de l’eau qui s’y trouve sous forme de glace, près du pôle Sud.
Cette région fait aujourd’hui l’objet de toutes les attentions, voire de tous les appétits, les agences voulant déterminer la quantité de glace qui est piégée et la manière de l’extraire. Les Etats-Unis l’ont bien compris en faisant signer à une trentaine de pays partenaires une série d’accords dont un des buts est de permettre l’appropriation des ressources lunaires… et de contourner ainsi le traité de l’espace de 1967 de l’ONU, qui l’interdit. A 380 000 kilomètres d’une Terre que l’on surexploite, démarrera bientôt une ruée vers l’eau.