Source: Le Monde
L’entreprise espagnole dessert 61 destinations dans l’Hexagone, contre 58 pour Air France, dont elle vise désormais les positions en Corse
Guy Dutheil
Air France, qui fête cette année ses 90 ans, aurait sûrement rêvé d’un plus beau cadeau. Le groupe dirigé par Ben Smith s’est fait ravir, cet été, la place de première compagnie française par Volotea. Cette petite low cost espagnole, fondée il y a onze ans, est devenue la numéro un française, avec 61 destinations desservies dans l’Hexagone, contre 58 pour Air France. Pour sa défense, Air France ne peut pas lutter à armes égales avec sa concurrente à prix cassés. Le coût au siège d’avion de la compagnie de M. Smith est près de trois fois supérieur à celui de sa propre filiale low cost Transavia. Le fossé serait encore plus grand avec Volotea.
Le succès de la compagnie espagnole n’est pas seulement lié aux talents de « cost-killer » de son fondateur, Carlos Muñoz. Il est d’abord le résultat d’une stratégie constante depuis 2012 : relier des villes moyennes sans passer par la capitale – des lignes dites transversales – et à des prix défiant toute concurrence.
« En 2023, nous prévoyons de transporter six millions de passagers », annonce au Monde M. Muñoz. La compagnie devrait afficher pour cette année une activité bénéficiaire et un chiffre d’affaires supérieur à 730 millions d’euros, indique-t-il. En clair, Volotea parvient à gagner de l’argent là où toutes les autres compagnies en perdent.
La compagnie à bas coûts compte huit bases en France, à Bordeaux, Strasbourg, Nantes Toulouse, Lourdes, Marseille, Lyon et Lille. L’Hexagone pèse lourd dans ses comptes : 60 % de son chiffre d’affaires annuel, soit plus de 400 millions d’euros. Pour augmenter sa recette par passager, calée aujourd’hui à 65 euros, Volotea prévoit d’opérer entre « douze et quinze bases en France d’ici à cinq ans avec l’espoir de transporter annuellement dix millions de passagers », précise le fondateur.
Aides au désenclavement
Depuis peu, la compagnie développe aussi une offre au départ d’Orly. L’eldorado de Volotea, ce sont les petites et moyennes destinations. Le succès est quasi assuré car Volotea est seule, ou presque sur le tarmac. M. Muñoz s’en félicite : « 60 % de nos lignes sont sans concurrence. » Les métropoles, que se disputent les autres compagnies, ne rassemblent que 22 % de la population.
Si M. Muñoz dit s’être inspiré de l’exemple des compagnies à bas coûts américaines, il semble plutôt vouloir copier Ryanair, championne pour percevoir des subventions des aéroports secondaires. En desservant des villes moyennes, la compagnie empoche parfois des aides au titre du désenclavement. En février 2022, Volotea a ainsi été choisie pour remplacer Air France et desservir quotidiennement Tarbes depuis Paris. Pour l’emporter face à deux concurrentes françaises, l’entreprise espagnole a mis en avant sa flotte d’Airbus A320 et le tarif modeste de ses billets : 39 euros. Une opération financière rentable pour Volotea, qui percevra une subvention revue à la hausse : 5 millions d’euros, contre 2,5 millions d’euros pour Air France.
La compagnie espagnole vise désormais la Corse et pourrait ravir à Air Corsica, associée à Air France, la délégation de service public (DSP) pour la période 2024-2027. Volotea présente une offre à 50 millions d’euros, moitié moins que celle du duo Air Corsica-Air France, qui s’envole à 96 millions d’euros. Début septembre, le Syndicat national du personnel navigant commercial (SNPNC-FO) a tenu « à exprimer sa profonde préoccupation face à la récente ascension de Volotea en tant que première compagnie aérienne en France ». Une progression, accuse le syndicat, qui serait « alimentée par des dérogations accordées par l’Etat français via la direction générale de l’aviation civile ».
A l’en croire, Volotea serait autorisée à appliquer la législation européenne, plus laxiste que les règles françaises sur la limitation du temps de vol des pilotes et du personnel navigant commercial. En 2019, Volotea dit avoir a obtenu du ministère des transports, une « dérogation (…) à deux articles du code de l’aviation civile qui traitent du temps de repos des personnels navigants ». Mais, « nous appliquons la réglementation française », se défend M. Muñoz, qui ajoute « qu’il aimerait bien obtenir la DSP pour la Corse ».