Source: Les Echos
Source Le Monde
Airbus dénonce le veto de Berlin à la vente d’Eurofighter à Riyad
L’industriel européen s’inquiète des conséquences pour son activité
Jean-Michel Bezat
Le ton monte chez Airbus Defence and Space, la filiale militaire et spatiale de l’avionneur européen basée à Manching, en Bavière, mais aussi chez IG Metall, le puissant syndicat de la métallurgie allemande. Objet de cette colère : le refus opposé par Berlin à la vente de 48 avions de combat Eurofighter Typhoon à l’Arabie saoudite, qui doit rapidement renouveler et renforcer sa flotte. Au sein de la coalition SPD-Verts-libéraux du chancelier Olaf Scholz, les Verts s’opposent à ce contrat en raison de l’assassinat, en 2018, du journaliste Jamal Khashoggi par les services spéciaux saoudiens et de la guerre au Yémen.
Guillaume Faury, président exécutif d’Airbus, avait jugé ce refus « dommageable pour la réputation de l’Allemagne ». Le directeur général d’Airbus Defence and Space, Michael Schoellhorn, revient à la charge, vendredi 24 novembre, dans Les Echos. Tout en rappelant que cette position est « inscrit[e] dans le traité de coalition » de 2021, il juge que cela « jette des doutes sur la fiabilité de l’Allemagne comme partenaire, pas seulement en Angleterre, mais aussi en France, en Espagne et dans d’autres pays ». Il rappelle qu’il était prévu, lors de la signature du programme, que « chacun devait laisser à l’autre la liberté d’exporter ».
Michael Schoellhorn souligne qu’« une discussion de fond s’impose donc à Berlin sur les règles qui découlent de la participation à un grand programme européen ». Car ce qui menace l’Eurofighter Typhoon peut arriver au système de combat aérien du futur (avion, drones, cloud de combat…). Développé par Dassault Aviation, Airbus Defence and Space et l’espagnol Indra, ce dernier doit peu à peu remplacer le Rafale et le Typhoon après 2040. Pour éviter tout blocage, la doctrine de l’exportation devra être fixée en amont par les pays partenaires.
Offre chiffrée pour 54 Rafale
Le gouvernement britannique et BAE Systems font pression, en faisant miroiter à Riyad que l’assemblage des Typhoon saoudiens pourrait être transféré d’Allemagne vers le Royaume-Uni, selon le Financial Times. En cas de blocage, l’accord sur l’Eurofighter prévoit bien que la production puisse se faire ailleurs, rappelle M. Schoellhorn, qui juge cependant l’option « peu réaliste ».
Londres redoute d’être doublé par Paris. Riyad a en effet demandé à Dassault Aviation de lui remettre, avant le 10 novembre, une offre chiffrée pour 54 Rafale. Certains analystes y voient un leurre des Saoudiens pour forcer la main au gouvernement allemand. Pour le patron d’Airbus Defence and Space, cette entrée dans la compétition est « valide », et « tout est ouvert ».
L’aéronef français multirôle s’est déjà vendu à quelque 170 exemplaires à trois pays du Moyen-Orient et a d’autres commandes en perspective : l’Egypte, son premier acheteur en 2015, et les Emirats arabes unis – deux alliés de l’Arabie saoudite –, et le Qatar. Le rayon d’action du Rafale, ses capacités d’emport et ses performances en attaque répondent aux besoins définis par l’armée de l’air saoudienne.
Dassault Aviation peut assurer son client que son usine de Mérignac (Gironde) et sa chaîne de sous-traitants sont suffisamment solides pour exécuter la commande, un argument de vente et une exigence de plus en plus forte des acheteurs. De plus, une nouvelle doctrine française d’exportation se précise. Elle vise à davantage associer les pays acheteurs aux évolutions des matériels et s’applique bien au « club Rafale » (Egypte, Emirats arabes unis, Qatar, Inde…) et au développement du dernier standard F5, qui combine avions et drones. Il peut séduire le deuxième importateur mondial d’avions de chasse (derrière l’Inde), qui souhaite développer une industrie d’armement.
Les Américains, premiers fournisseurs de Riyad, ne sont pas hors course, selon M. Schoellhorn, même s’ils ont jusqu’ici refusé de lui vendre les deux fleurons de Lockheed Martin : le F-22 Raptor, qui assure la supériorité stratégique de l’US Air Force et n’est pas exportable ; et surtout le F-35, réservé aux alliés de l’OTAN, au Japon, à la Corée du Sud et à l’Australie. Il reste à savoir si la Maison Blanche et le Congrès sont disposés à lever certaines restrictions.
La question des divergences de doctrine d’exportation se pose aussi pour la Turquie. Elle veut acheter 40 Eurofighter Typhoon, à la place de 40 F-16 américains, le Congrès ayant bloqué cette opération. Ce virage européen d’Ankara serait historique, son armée de l’air dépendant des géants de l’industrie aéronautique américaine. Londres et Madrid poussent cette vente. Berlin s’y oppose, en raison des déclarations violemment anti-israéliennes du président turc, Recep Tayyip Erdogan.