Série: “Masters of the Air”

Source: Le Monde

Voir aussi https://www.allocine.fr/series/ficheserie_gen_cserie=11807.html

Dans l’horreur des combats aériens

Steven Spielberg et Tom Hanks clôturent leur triptyque sur la seconde guerre mondiale 

Thomas Sotinel

APPLE TV+À LA DEMANDESÉRIE

Il s’est écoulé treize ans entre la diffusion de L’Enfer du Pacifique(2010), deuxième volet, après Frères d’armes (2001), du triptyque de séries consacrées à la seconde guerre mondiale par Steven Spielberg et Tom Hanks, ici producteurs, et celle de Masters of the Air. Malgré le succès rencontré par ces célébrations, sur HBO, de la Greatest Generation(« la plus grande des générations », c’est ainsi que les Américains appellent les classes d’âge qui ont combattu entre 1941 et 1945) et les statures de Spielberg et Hanks, la chaîne du groupe Warner a finalement renoncé à se lancer dans une entreprise hors de prix.

C’est donc aux acheteurs d’équipements numériques et aux utilisateurs de services Apple qu’il est revenu de financer Masters of the Air, superproduction disponible sur Apple TV+, qui suit la campagne d’Europe du 100th Bomb Group de la huitième Air Force de l’United States Air Force (USAF), une escadrille de bombardiers B17 stationnée près de la côte orientale de l’Angleterre au printemps 1943. Avec un budget estimé à 300 millions de dollars (277 millions d’euros) par la presse professionnelle hollywoodienne et un impeccable casting de jeunes stars, Masters of the Air dispose, comme son modèle historique, des moyens matériels et humains pour faire la différence.

Bains de sang dans les nuages

A chaque épisode, les personnages se voient confier une mission qui peut être la dernière (à elle seule, la huitième Air Force a perdu plus d’hommes que la totalité de l’US Marine Corps entre 1941 et 1945). Leur sobriquet de « forteresse volante » n’y peut rien, les gigantesques avions sont vulnérables, qu’ils traversent des barrages de défense contre l’aviation ou des essaims de chasseurs allemands. Les ressources de la production sont passées en terabytes plutôt qu’en hectolitres de kérosène, et ces bains de sang dans les nuages doivent tout au raffinement de l’art des effets spéciaux numériques.

Les machines sont ici si imposantes qu’il faut quelques épisodes de bruit et de fureur pour que des voix humaines se fassent vraiment entendre. Le scénario, dont John Orloff a été le maître d’œuvre, est tiré de quelques chapitres des Maîtres de l’air (2015, paru en 2023 chez Michel Lafon Poche),histoire de la campagne européenne de l’US Air Force signée Donald L. Miller.

Les auteurs ont sélectionné un couple de héros selon des critères qui auraient pu prévaloir au moment du casting d’un film hollywoodien des années 1940. Modelés sur de vrais officiers du 100th Bomb Group, le major John C. Egan, dit « Bucky » (Callum Turner), et le major Gale Cleven, dit « Buck » (Austin Butler), un don juan casse-cou à la fine moustache et un garçon taciturne qui aurait porté aussi bien le Stetson que la casquette de l’USAF, sont comme des versions juvéniles de Clark Gable et de John Wayne. Plutôt qu’une rivalité convenue, la série met en scène une compétition tacite fondée sur un socle de valeurs communes, américaines et viriles, mise en musique par une bande-son qui n’hésite jamais à faire appel à Glenn Miller.

Entre le prestige de l’uniforme (les blousons de cuir doublé) et l’horreur du combat, réalisateurs (parmi lesquels Cary Joji Fukunaga, qui a réalisé les quatre premiers épisodes, les plus difficiles à mettre en scène et les plus spectaculaires) et scénaristes ne choisissent pas. Le froid glacial qui entre dans une carlingue déchiquetée à 7 500 mètres d’altitude, les visages défigurés, et la chaude camaraderie qui règne dans les baraquements au retour de la mission marquent, dans un premier plan, les bornes d’une dramaturgie qui menace de se faire répétitive. Pour tenir ce danger à l’écart, Masters of the Air joue avec la hiérarchie du casting. Ce ne sont pas forcément les personnages interprétés par les acteurs les plus connus qui survivront le plus longtemps.

L’émergence d’un troisième personnage, le navigateur Harry Crosby (Anthony Boyle), si doué pour calculer une trajectoire qu’il est bientôt assigné à la planification des missions, permet d’ajouter une strate au récit, de prendre le recul nécessaire à la discussion sur les moyens et les buts.

Une altercation entre aviateurs américains et britanniques fait surgir les débats stratégiques qui ont présidé à l’invention des bombardements de masse. La Royal Air Force bombarde de nuit, faisant passer la précision au second plan, l’USAF de jour en se flattant de se limiter aux objectifs militaires ou stratégiques.

En avançant, le récit se divise en branches distinctes. Certains sont abattus et faits prisonniers (souvenirs de Stalag 17, 1953, ou de La Grande Evasion, 1963), d’autres doivent vivre avec ce que l’on n’appelle pas encore le « stress post-traumatique ». Cette multiplication des angles n’avance pas très loin, car il faut – comme du temps de Jack Warner et de Louis B. Mayer – des histoires d’amour, avec une mystérieuse militaire britannique (Bel Powley). Cette ambivalence entre grand spectacle et histoire fournit à Masters of the Air sa force d’attraction tout en fixant ses limites.

Masters of the Air, série créée par John Shiban et John Orloff (EU, 2024, 9 × 55 min). Avec Austin Butler, Callum Turner, Anthony Boyle, Barry Keoghan.