Source: Le Monde
Les start-up françaises du spatial à la recherche de financement
En janvier, trois jeunes sociétés, Latitude (microfusées), Greenerwave (antennes) et Aldoria (télescopes), ont annoncé des levées de fonds
Dominique Gallois
Signal encourageant pour les start-up françaises du « new space », cet écosystème qui se développe dans le spatial depuis une dizaine d’années, porté par une multiplication d’initiatives privées. En janvier, trois d’entre elles, Latitude et sa microfusée Zéphyr, Greenerwave et ses antennes intelligentes, et Aldoria qui déploie des stations de télescopes pour surveiller l’espace, ont annoncé des levées de fonds s’élevant respectivement à 27, à 15 et à 10 millions d’euros.
Ces opérations interviennent après une année marquée par un assèchement du marché, en raison de la hausse des taux d’intérêt, banquiers et investisseurs délaissant en priorité des activités jugées trop compliquées et trop risquées telles celles des jeunes entreprises du spatial. Ainsi, selon Euroconsult, les investissements privés dans le monde ont été quasiment divisés par deux entre 2021 et 2023, passant de 12,6 milliards de dollars (11,7 milliards d’euros) à 6,5 milliards de dollars.
Ce fut une année « compliquée »qui n’a pas été sans rappeler 2020, début de la pandémie de Covid-19, reconnaît le fondateur de Latitude, Stanislas Maximin, également responsable de l’Alliance NewSpace France, une association qu’il a fondée et rassemblant une quarantaine de jeunes entreprises. Cela les a souvent obligées à « repenser leurs stratégies pour ne pas trop souffrir », poursuit ce dirigeant de 25 ans. L’activité dans le secteur a pu être maintenue grâce au soutien des pouvoirs publics sous diverses formes, par le plan d’investissement France 2030 et Bpifrance, ou en convainquant un maximum d’intervenants d’investir quand ils le pouvaient et, aussi, en apportant un soutien technique.
« Je suis le premier à critiquer l’Etat quand il ne fait pas son job, mais là, je le reconnais, s’il n’avait pas joué son rôle, il y aurait eu énormément de casse dans les start-up, souligne Stanislas Maximin. J’espère que cette année 2024 sera celle de la rédemption, où les acteurs vont pouvoir reprendre leurs investissements. Car le risque est de ne pas aller assez vite, et les concurrents ne vont pas attendre. » Mais, prévient-il, « je reste prudent malgré tout. On a compensé quand il le fallait, mais on n’a pas réglé le problème de fond du financement du spatial. C’est un domaine complexe où les fonds d’investissement classique ne veulent pas entrer ».
Cinquantaine de fusées en 2028
Les 27 millions d’euros collectés par Latitude permettent à cette entreprise fondée en 2019 et qui emploie 140 personnes de mettre en production les éléments de sa première microfusée puis de procéder à son assemblage. Le lancement est prévu en 2025, avec pour objectif d’en réaliser une cinquantaine par an à partir de 2028. Le marché visé est celui des nanosatellites, de la taille d’une boîte à chaussures et pouvant peser de quelques dizaines de grammes jusqu’à 40 kilogrammes.
Zéphyr, dans sa première version, pourra emporter jusqu’à 100 kilogrammes de charge, une capacité qui doublera dans quatre ans. A l’horizon 2028, les estimations portent sur plus de mille nanosatellites par an à mettre en orbite dans le monde. Latitude vise 15 % du marché et entend être le leader européen dans un secteur aujourd’hui dominé par les Américains, avec les lanceurs Falcon de SpaceX et les minifusées de Rocket Lab, mais où les projets sont nombreux. Rien qu’en France, six sont en développement.
« Grâce à notre levée de fonds, nous passons d’une start-up qui se développait par autofinancement grâce à des contrats de recherche et développement à une vraie entreprise », explique Geoffroy Lerosey, le PDG de Greenerwave, une société fondée en 2015, issue de l’institut de recherche Langevin (une unité mixte de recherche du Centre national de la recherche scientifique et de l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris) spécialisé dans la physique des ondes.
Cet apport financier va permettre de fabriquer un terminal de 45 centimètres de côté muni d’une antenne intelligente capable de se diriger dans toutes les directions pour assurer une connexion haut débit et stable entre les satellites et leurs utilisateurs. La technologie utilisée est cinq fois moins coûteuse et moins consommatrice que les antennes classiques, car elle intègre moins de semi-conducteurs. Ces nouvelles antennes de plusieurs milliers d’euros intéressent les secteurs de la défense, de l’espace, de l’automobile et des télécommunications.
Trois industriels ont participé au tour de table, le motoriste Safran, l’opérateur de satellites Intelsat et l’équipementier Plastic Omnium. « Nous arrivons sur un marché qui existe déjà, mais qui est en train de s’ouvrir », affirme M. Lerosey, confiant face à des grands concurrents américains, israéliens ou coréens. Sa société, qui est passée en 2023 de 40 à 85 salariés, va en recruter plusieurs dizaines en 2024 pour s’ajouter de nouvelles compétences dans le marketing, la stratégie et la communication, signe de son changement d’échelle.
« Nous scannons le ciel, un peu comme un radar de veille », raconte Romain Lucken, fondateur d’Aldoria, en présentant les six stations de douze télescopes installées en Australie, en Amérique du Nord et du Sud, et en Europe. L’objectif, surveiller l’espace et anticiper les menaces de collision dues à la prolifération des débris spatiaux et des satellites. En 2023, la start-up a généré 230 000 mesures sur 5 000 objets et a anticipé 30 millions de rapprochements entre objets spatiaux. La société a des contrats avec le Centre national d’études spatiales, l’Agence spatiale européenne, Airbus, mais aussi Astroscale, société japonaise développant des satellites pour aller récupérer des débris spatiaux, et Isar Aerospace, entreprise allemande fabriquant une minifusée.
Avec l’apport de 10 millions d’euros, Aldoria entend doubler son réseau de stations d’ici à la fin 2025. Ce développement va s’accompagner de recrutements pour cette société basée à Paris, à Toulouse et à Austin (Texas), les effectifs passant de trente-deux à une cinquantaine d’ici à la fin de l’année. Simultanément, elle a changé de nom, abandonnant celui d’origine, Share My Space, choisi lorsque M. Lucken avait créé l’entreprise en 2017, à l’âge de 24 ans et sortant de Polytechnique. « Certains pensaient que nous louions des espaces de coworking et d’autres nous reprochaient la consonance anglaise, s’amuse-t-il. Aldoria évoque la nébuleuse des Pléiades, c’est plus adapté. »