Source: Le Monde
Avec l’appui d’Israël, le Maroc se lance dans les drones militaires
La société israélienne BlueBird Aero Systems a annoncé le démarrage prochain d’une unité de production dans le royaume chérifien
Alexandre Aublanc
CASABLANCA – correspondance
Après l’Afrique du Sud, l’Egypte et le Nigeria, le Maroc devrait prochainement intégrer le cercle des pays africains constructeurs de drones militaires. L’annonce a été faite par Ronen Nadir, le fondateur et président de la société israélienne BlueBird Aero Systems, détenue en partie par l’entreprise publique Israel Aerospace Industries.
Dans une déclaration, publiée le 13 avril par la revue espagnole Zona Militar, l’ancien commandant de l’armée de l’air israélienne a affirmé qu’une unité de production d’aéronefs sans pilote (ASP) avait été établie au Maroc et qu’elle commencerait à fonctionner dans un avenir proche.
Aucun détail n’a filtré sur l’emplacement de cette installation ni sur la date de démarrage de la production. Contactés par Le Monde, les représentants de BlueBird Aero Systems n’ont pas souhaité réagir. Les propos de M. Nadir n’ont pas non plus déclenché de commentaire officiel côté Maroc, mais ils coïncident avec l’annonce, en novembre 2023, par le ministre de la défense marocain, Abdellatif Loudiyi, du projet de développer une industrie militaire nationale axée sur la production d’ASP.
Quels drones seront fabriqués au Maroc ? Des modèles WanderB et ThunderB, assure Asher Fredman, le directeur pour Israël de l’Institut des accords d’Abraham pour la paix. Ces appareils sont principalement destinés à des missions de reconnaissance, de renseignement et de détection de cible. En 2022, Rabat en a commandé cent cinquante exemplaires, dont une partie sera produite sur le sol marocain.
Partage de connaissances
Le drone SpyX de l’entreprise israélienne, une version kamikaze acquise récemment par le Maroc, pourrait aussi être fabriqué localement. Ces munitions rôdeuses, utilisées en Ukraine et dans le Haut-Karabakh, sont « de plus en plus décisives sur les champs de bataille », souligne Nizar Derdabi, un ancien officier de la gendarmerie marocaine, qui enseigne à l’Ecole de guerre économique de Rabat.
Ce n’est pas la première fois que BlueBird Aero Systems implante une unité de production de drones en dehors d’Israël. La société produit déjà des ASP en Inde, par l’intermédiaire d’une joint-venture avec l’entreprise Cyient. Selon M. Derdabi, l’accord prévoit un partage de connaissances et un transfert progressif de technologies. « Des ingénieurs israéliens formeront leurs homologues marocains sur place », confirme-t-il.
En produisant des drones, l’objectif du Maroc, répètent les experts, est de se doter d’une base industrielle et technologique de défense, qui réunira des constructeurs internationaux, des acteurs institutionnels et des entreprises marocaines. Un choix pour lequel ont opté de nombreux pays qui ont tenté de développer une industrie militaire. « Il est plus facile de produire des aéronefs que des véhicules blindés ou des chars qui nécessitent des processus de fabrication et des infrastructures très avancés », observe le chercheur Fabian Hinz, de l’International Institute for Strategic Studies.
Les drones produits au Maroc auront vocation à contrer les capacités militaires de l’Algérie et à anticiper les opérations des indépendantistes du Front Polisario, déclare M. Derdabi. Soutenus par Alger, ces derniers s’opposent depuis plusieurs décennies à l’armée marocaine au Sahara occidental. Depuis la normalisation de leurs relations, en décembre 2020, la coopération militaire d’Israël avec le Maroc s’est considérablement renforcée. L’Etat hébreu est le troisième exportateur d’armes vers le royaume, juste derrière la France, selon le Sipri.
Le Maroc voit aussi s’entrouvrir la porte d’un cercle, très fermé : celui des nations exportatrices de matériel militaire. La perspective est encore hypothétique. « [Cependant,] à de très rares exceptions, les pays qui produisent leur propre équipement militaire finissent par essayer de l’exporter, et je pense que, pour le Maroc, cela ne fait guère de doute », soutient ainsi M. Hinz.
« Un décret adopté en juin 2021, mentionne clairement que l’exportation constitue un objectif de la mise sur pied d’une industrie de défense », précise M. Derdabi. S’il est régulièrement questionné depuis que l’armée israélienne assiège Gaza, en représailles à l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, le concours apporté par Israël à l’armement du Maroc n’a pas fait les frais de la situation au Proche-Orient.