EuroSatory et les drones

Source: Les Echos

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Source: Le Monde

Défense : travailler avec l’Ukraine reste délicat

Les coopérations entre industriels européens et ukrainiens se multiplient, mais demeurent embryonnaires

Chloé Hoorman Et Élise Vincent 

Alors que le salon Eurosatory, l’un des plus grands forums internationaux d’armement, a fermé ses portes, vendredi 21 juin, à Villepinte (Seine-Saint-Denis), un rapprochement particulièrement appuyé entre industriels européens et ukrainiens a pu être observé, lors de cette vingt-huitième édition. Depuis le début de la guerre, en février 2022, celui-ci avait surtout lieu dans l’ombre des cessions d’équipements militaires. Il prend désormais de plus en plus la forme de joint-ventures, des sociétés mixtes encouragées par les capitales européennes, inquiètes du rapport de force qui se dégrade de mois en mois entre les armées russe et ukrainienne.

La dernière initiative en date, côté français, est venue de Thales. Le 19 juin, le géant de l’électronique a annoncé la signature de trois accords avec des sociétés ukrainiennes, dont un joint-venture en Ukraine, destiné à « faciliter la livraison et l’exploitation » de systèmes de guerre électronique, de communication tactique et de systèmes de défense aérienne. Un segment sur lequel peu d’industriels étaient positionnés jusqu’à présent, la réparation de matériels lourds de type chars ou obusiers ayant jusqu’ici été privilégiée.

« Un jeu à quatre »

Les premiers joint-ventures entre Européens et Ukrainiens ont été discrètement amorcés, dès la fin de 2022, par la République tchèque, suivie par la Pologne en mai 2023. Ils consistaient alors à coproduire de l’armement hors d’Ukraine, notamment des munitions. Mais, depuis l’échec de la contre-offensive ukrainienne, à l’été 2023, de plus en plus d’industriels s’engagent dans la réparation ou la fabrication d’équipements directement sur le sol ukrainien et dans des domaines de plus en plus diversifiés. Une façon d’optimiser la disponibilité des équipements pour les forces de Kiev en évitant la logistique de transferts des matériels éprouvés par le front.

En janvier, l’Institute for the Study of War, un centre de réflexion américain basé à Washington, recensait ainsi au moins dix pays soutenant ce type d’initiatives, dont la France. Ce n’est toutefois qu’en mars que Paris a finalisé son premier projet de joint-venture avec l’Ukraine, par le biais d’un accord-cadre avec l’Allemagne permettant au groupe franco-allemand KNDS de créer un centre de maintenance pour les canons Caesar.

« Pour les industriels concernés, c’est à la fois un moyen de se positionner sur un marché très prometteur et de répondre en partie aux pressions politiques , commente Renaud Bellais, qui s’exprime en tant que codirecteur de l’Observatoire de la défense de la Fondation Jean Jaurès, et qui est, par ailleurs, conseiller du leader européen des missiles, MBDA. Les joint-ventures avec les Ukrainiens, c’est un jeu à quatre : deux industriels et deux Etats. » Tous les contrats sont négociés au plus haut niveau et présentent une forte dimension symbolique pour les Etats européens, régulièrement accusés par les Etats-Unis de ne pas en faire assez pour soutenir Kiev.

C’est le cas des projets du consortium allemand Rheinmetall, fabricant notamment des chars Leopard, ou du britannique BAE Systems, spécialisé dans l’aérospatiale et la cybersécurité. Le premier compte installer au moins quatre usines en Ukraine pour produire des obus, des véhicules militaires, de la poudre et des armes de défense antiaérienne. Le second a annoncé, en avril, avoir signé un contrat pour la réparation de L119, des obusiers tractés. De même, le spécialiste turc des drones, Baykar, a annoncé la construction d’une usine en Ukraine, en septembre 2023.

Près d’un an après les premières annonces de ces joint-ventures, leur montée en puissance et leur efficacité sur le terrain demeurent toutefois floues et peu documentées. Chez BAE Systems, on se borne à expliquer qu’il y a désormais « plusieurs plates-formes » en Ukraine, dont un bureau officiel à Kiev, depuis août 2023. « La situation est difficile », concède-t-on. Chez Rheinmetall, le centre de réparation des matériels usés sur le front, annoncé au printemps 2023, est seulement opérationnel « depuis un mois ». Chez KNDS France, le centre de maintenance pour canons Caesar en Ukraine, en discussion depuis septembre, ne devrait voir le jour qu’entre la fin de 2024 et le début de 2025. « C’est plus compliqué que de céder des canons », observe-t-on.

Sécurité des salariés

Les industriels justifient le peu de détails sur l’état d’avancement des projets, notamment par le souci d’éviter de dévoiler aux Russes l’étendue des capacités ukrainiennes. Mais d’autres difficultés freinent ces projets. Appelés à basculer dans une « économie de guerre », les grands groupes ont tous augmenté leurs cadences, mais hésitent à franchir une marche supplémentaire.

Les géants de l’armement redoutent de mettre sur les rails leurs concurrents de demain en leur transférant leur savoir-faire et une partie de leurs secrets industriels. Kiev ayant peu de budget pour acquérir plus d’équipements en dehors des cessions d’armement déjà effectuées, nombre de joint-ventures se limitent à des prestations de maintenance. Or, en apprenant à démonter et à remonter les matériels qui leur sont envoyés, et en fonction de la complexité des tâches transférées, les Ukrainiens pourraient acquérir certaines compétences. 

Dans l’immédiat, un des obstacles au développement des joint-ventures le plus souvent avancé par les industriels reste toutefois la sécurité des sites et des salariés. Interrogé lors du salon Eurosatory sur l’éventualité d’envoyer des personnels français en Ukraine, le PDG de Thales s’est montré catégorique : « Certainement pas ! », a confié à la presse, le 18 juin, Patrice Caine. Même pour former les Ukrainiens à l’utilisation des matériels qui ont été livrés, le groupe y a renoncé. « Dans un pays en guerre, ce n’est pas possible », a insisté le patron, qui vient de signer la vente à l’Ukraine d’un second système de défense aérienne, incluant le radar GM 200.

D’autres, comme Rheinmetall, également interrogé lors du salon, ont, à l’inverse, admis avoir déjà des techniciens et des cadres sur place, répartis sur différents sites. « Ils sont protégés par la défense antiaérienne ukrainienne, au même titre que les antennes des stations de télévision, les centrales électriques ou les usines de chars », a précisé, le 18 juin, Björn Bernhard, le responsable des systèmes terrestres du conglomérat allemand.