Boeing encore en grève

Source: Les Echos du 24/10

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Boeing enchaîne des pertes record et ses machinistes prolongent la grève

L’avionneur américain a annoncé sa pire perte trimestrielle en quatre ans. Les ouvriers qui ont arrêté le travail sur les sites d’Everett et de Renton ont rejeté l’accord social proposé

Guy Dutheil

Encore une journée à marquer d’une pierre noire pour Boeing. Tout d’abord, l’avionneur américain a annoncé, mercredi 23 octobre, sa pire perte trimestrielle en quatre ans : 6,17 milliards de dollars (environ 5,72 milliards d’euros). Quelques heures plus tard, les salariés des deux principales usines du groupe, produisant le 737, le 777, le 767 et plusieurs programmes militaires ont largement rejeté le projet d’accord social proposé par l’avionneur et reconduit la grève qui paralyse ces sites depuis le 13 septembre.

Sans surprise, c’est la branche aviation commerciale qui est le plus dans le rouge et a obligé Boeing à provisionner plus de 5 milliards de dollars de charges. « Ma mission est assez claire : remettre ce grand navire dans la bonne direction et rétablir Boeing dans sa position de leader que nous connaissons et que nous souhaitons », a indiqué Kelly Ortberg, PDG de l’avionneur depuis début août, en remplacement de Dave Calhoun. La tâche du nouveau patron s’annonce ardue, la dette nette de Boeing atteignant 58 milliards de dollars.

Les ennuis de l’avionneur ont commencé avec les deux crashs successifs, fin 2018 et début 2019, des 737 MAX d’Ethiopian Airlines et de Lion Air qui ont causé la mort de 346 passagers et membres d’équipage. Depuis lors, Boeing, qui a perdu sa place de leader mondial de l’aéronautique au profit d’Airbus, connaît une série de déboires tant en matière d’approvisionnements que de qualité de ses productions.

Presque une humiliation

Surtout, il ne parvient pas à hausser ses cadences de production pour répondre à la demande. En septembre, il n’a livré que 33 engins 737 MAX. Il espère seulement en sortir 38 chaque mois d’ici à la fin de 2024, encore bien loin des 59 exemplaires d’avant la pandémie de Covid-19. Tous ses programmes sont touchés. Le PDG a ainsi reporté à 2026 la sortie du gros-porteur long-courrier 777X.

Ces difficultés mettent à mal les finances. C’est en effet au moment de la réception de leur avion que les compagnies clientes s’acquittent de l’essentiel (environ 60 %) du prix total de leur commande. Un manque à gagner qui tombe mal, alors qu’il lui faudra verser des indemnités aux compagnies qui n’ont pas reçu leurs appareils en temps et en heure.

Malgré ces ennuis, l’avionneur s’est mis à l’abri d’une retentissante faillite. M. Ortberg a annoncé, le 11 octobre, qu’il va pouvoir lever sur les marchés 25 milliards de dollars pour renflouer sa trésorerie. Un apport bienvenu, auquel s’ajoutera une ligne de crédit de 10 milliards de dollars.

Mais Boeing est aussi affecté par les ratés de sa branche défense et espace. Les contrats d’équipements et fournitures militaires signés à coûts fixes avec le Pentagone touchent les finances du groupe. Côté espace, le groupe vit presque une humiliation. Son vaisseau Starliner, qui avait acheminé Barry Wilmore et Sunita Williams jusqu’à la Station spatiale internationale, début juin, pour un séjour de huit jours, a été incapable de les ramener sur Terre en raison de défaillances techniques. Et c’est le concurrent SpaceX d’Elon Musk qui devrait le faire à sa place.

Enfin, sur le front social, Boeing espérait trouver une issue à un conflit qui dure depuis le 13 septembre. Pour cela l’avionneur proposait une hausse salariale de 35 % sur quatre ans mais sans rétablir le système de retraite supprimé en 2008 que réclamaient de nombreux salariés. Mercredi, les 33 000 ouvriers, essentiellement des machinistes, en grève dans les deux usines historiques d’Everett et de Renton, dans la banlieue de Seattle (Etat de Washington), étaient appelés à se prononcer sur ce projet d’accord social négocié entre l’avionneur et la branche locale du syndicat des machinistes (IAM). Il a été rejeté, par près de deux tiers (64 %) de ces membres.

L’IAM réclame une hausse salariale de 40 % pour rattraper le retard pris par rapport à l’inflation de ces dernières années, ne permettant pas aux salariés d’être en mesure de vivre correctement dans cette région parmi les plus chères des Etats-Unis. « Après dix années de sacrifices, nous avons encore des raisons de rattraper » ce retard, a déclaré Jon Holden, président de la branche locale IAM-District 751, suite aux résultats du vote, disant espérer « reprendre les négociations rapidement ». Cette décision est l’illustration de « la démocratie sur le lieu de travail et aussi une preuve claire qu’il existe des conséquences lorsqu’une entreprise maltraite ses ouvriers année après année », a-t-il ajouté.