Safran étend son réseau de maintenance pour monter en cadence
Le motoriste va investir plus de 1 milliard d’euros et prévoit de recruter 4 000 personnes en quatre ans pour répondre à une demande en forte croissance
Guy Dutheil
Safran veut accélérer la maintenance de ses moteurs LEAP de dernière génération. Ceux qui propulsent les A320neo d’Airbus, les 737 MAX de Boeing et le moyen-courrier Comac chinois. Pour y parvenir, Safran Aircraft Engines (SAE), la filiale moteurs du groupe français, a annoncé, mardi 29 octobre, un plan d’investissement de plus de 1 milliard d’euros pour développer « un réseau mondial de maintenance pour le moteur LEAP ».
SAE a aussi annoncé l’extension de son site près de l’aéroport de Bruxelles avec 120 000 mètres carrés supplémentaires. La veille, lundi 28 octobre, la filiale présidée par Jean-Paul Alary avait conclu un accord avec les autorités marocaines en vue de la construction et de l’ouverture, en 2026, d’un atelier de maintenance du moteur LEAP, développé par CFM International, la coentreprise à 50-50 entre Safran et l’américain General Electric.
Au total, ce sont sept sites, en Inde, au Mexique, aux Etats-Unis, en France, en Belgique et bientôt au royaume chérifien, qui seront chargés de l’entretien et des réparations du nouveau moteur. Afin d’accompagner cette montée en puissance, SAE prévoit aussi de recruter 4 000 salariés d’ici à 2028. Dans quatre ans, la division du motoriste aura doublé de taille, pour atteindre 8 000 employés.
« Points de fragilité »
Il est vrai que Safran est victime de son succès. Lancé en 2016, le LEAP équipe déjà 4 000 avions auprès de 180 compagnies aériennes. Mieux, le groupe affiche « plus de 10 600 moteurs dans son carnet de commandes », s’est félicité M. Alary. Toutefois, à l’image d’Airbus et de Boeing, ses deux plus gros clients, SAE rencontre des difficultés pour assurer la remontée en cadence de sa production depuis la sortie de la pandémie de Covid-19.
Pour preuve, Olivier Andriès, le directeur général de Safran, a revu à la baisse, vendredi 25 octobre, ses prévisions annuelles de livraisons. Plutôt que d’augmenter, comme prévu, sa production de 25 %, le patron du motoriste a indiqué qu’il livrerait 10 % de LEAP de moins qu’en 2023. Cette même année, les compagnies clientes avaient pu réceptionner 1 570 moteurs.
A l’instar des avionneurs, Safran doit faire face à la faiblesse de certains des maillons de sa chaîne de fournisseurs. « Ceux qui m’empêchent de dormir se comptent sur les doigts », précise le président de SAE. Il assure que son groupe « est en passe de résorber ses quelques points de fragilité de la supply chain [“chaîne logistique”] ». « Je n’ai aucun plaisir à ne pas livrer Airbus », a expliqué M. Alary. Tandis que Boeing, confronté a des problèmes récurrents de qualité et à une longue grève, depuis la mi-septembre, qui paralyse ses productions, a demandé à Safran de réduire ses livraisons, au moins le temps du conflit.
Les perspectives de croissance sont importantes. « La flotte équipée de LEAP va doubler d’ici à 2030. A cette date, 8 000 avions seront propulsés par le nouveau moteur », explique le dirigeant. D’ici à 2040, SAE prévoit que 5 000 opérations de maintenance par an seront nécessaires. Deux fois plus que pour le moteur CFM56. Un véritable pactole à venir pour CFM International et ses partenaires.
Changement de stratégie
En effet, le « business model de SAE est axé sur la prédominance des activités d’après-vente », reconnaît M. Alary. Selon nos informations, un LEAP est commercialisé, prix catalogue, environ 15 millions d’euros. Conçu pour fonctionner, en moyenne, entre vingt-deux et vingt-cinq ans, le moteur doit faire l’objet de trois à quatre grandes visites en profondeur, facturées plusieurs millions d’euros. A ces examens approfondis s’ajoutent, signale encore le PDG, « quelques interventions plus légères pour rajouter du temps sous l’aile au moteur ». Entre l’achat et la maintenance, le prix du moteur aura plus que doublé au long de sa durée de vie.
Mais, entre les moteurs CFM56 et LEAP, le modèle économique de SAE a changé. Auparavant, le motoriste engrangeait ses bénéfices à chaque entretien et réparation de ses moteurs. De plus en plus, SAE signe des « contrats à l’heure de vol » avec les compagnies aériennes – en pratique, plus le moteur vole, plus SAE gagne de l’argent –, 45 % des clients du LEAP ayant déjà signé de tels contrats.
Un changement de stratégie qui épouse l’essor des compagnies low cost, dont le modèle économique repose sur une utilisation intensive d’avions neufs revendus avant leur première, et très coûteuse, grande visite de maintenance. C’est pourquoi le motoriste veut raccourcir au maximum les opérations de maintenance et développe son réseau tambour battant. Aujourd’hui, la durée d’un passage en entretien ou en réparation d’un LEAP « est en moyenne de plus de cent jours sur le réseau CFM », indique SAE. « Pour être compétitif, poursuit le motoriste, il faudrait être entre quatre-vingt-dix et cent jours. » Encore très loin du record de soixante-dix jours pour l’entretien d’un CFM56.
Toutefois, malgré une montée en cadence contrariée, Safran reste très performant sur le plan financier. Au troisième trimestre, son chiffre d’affaires a progressé de 14 %, pour s’établir à 6,6 milliards d’euros. Sur les neuf premiers mois de 2024, le motoriste fait encore mieux, avec un chiffre d’affaires de 19,7 milliards d’euros, en hausse de 17,4 %. Il n’empêche, sur le plan opérationnel, M. Andriès admet que les problèmes de la supply chainet les difficultés de livraisons « perdureront probablement en 2025 ». Au grand dam d’Airbus, qui a déjà dû revoir à la baisse ses objectifs de livraisons pour 2024.
source Le Monde