Source: Le Monde. Extraits
L’essor de l’aéroport de Beauvais contesté
Plusieurs associations attaquent le contrat de concession, qu’elles jugent incohérent avec l’accord de Paris
Matthieu Goar
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« On ne souhaite pas la fermeture de l’aéroport, mais son plafonnement. Après tout, on subit la pollution et les désagréments au nom des retombées économiques », dénonce cet ingénieur de 40 ans, membre de l’association Adera qui s’oppose aux nuisances de l’infrastructure. Avant de reprendre son vélo, il lâche, un peu dépité : « Depuis toutes ces années, on sait très bien que le développement de l’aéroport va juste augmenter le nombre de passagers qui veulent aller voir la tour Eiffel ou partir en week-end dans les villes européennes. »
Mardi 11 mars, cette association, ainsi que Sauvez le Beauvaisis et Notre affaire à tous, rendent publique une nouvelle action en justice. Mi-janvier, ces opposants ont déposé une requête au tribunal administratif d’Amiens contre le nouveau contrat de concession de l’aéroport signé en avril 2024. Dans le mémoire qu’ils ont écrit, ils dénoncent l’augmentation « rapide et inconsidérée » du trafic depuis l’arrivée des compagnies low cost en 1997. En 1996, 64 000 passagers transitaient par cette petite infrastructure. En 2024, ils étaient 6 560 000. De 4 200 en 2000, le nombre de mouvements commerciaux est passé à 39 000 en 2024.
Selon eux, ce nombre pourrait doubler dans les trente prochaines années. « Au départ, on nous l’a vendu comme un aéroport provincial, mais on a très vite senti que ça serait surtout le troisième aéroport parisien, se souvient Philippe Brébion, 64 ans, ancien président de l’Adera, qui essaye de retenir sa chienne Divine au milieu d’un jardin survolé par les avions. On voit bien qu’il faut maintenant faire le lien avec les enjeux nationaux. »
Nouveauté de cette action juridique, les opposants locaux se sont rapprochés d’une association d’envergure nationale, Notre affaire à tous. Objectif ? Dénoncer l’incohérence entre le développement d’un aéroport et les engagements climatiques de la France. Dans leur mémoire, les requérants rappellent donc la signature de l’accord de Paris par la France et mettent aussi en avant la stratégie nationale bas carbone qui prévoit au minimum une stagnation du transport aérien pour que la France respecte son engagement de – 55 % d’émissions en 2030 par rapport au niveau de 1990.
« Ambiguïtés »
Dans une note publiée en septembre 2024, le secrétariat à la planification écologique précisait ainsi que le secteur aérien devrait passer de 24,2 millions de tonnes d’émissions d’équivalent CO2 à 23,4 en 2030, mais que la tendance n’était pas bonne (29 millions de tonnes prévues). « Des mesures supplémentaires [de sobriété] pourraient être nécessaires pour sécuriser la trajectoire », indique ce document. « L’idée est de montrer les ambiguïtés entre les engagements de la France et ce qu’il se passe sur le terrain. Il y a un moment, il faudra bien limiter le trafic car ce ne sont pas les hypothétiques progrès technologiques qui vont nous sauver », estime Adeline Paradeise, juriste au sein de Notre affaire à tous, qui espère, au moins, une renégociation du nouveau contrat de concession.
Alors que la planification écologique doit se concrétiser sur le terrain, le plafonnement de la capacité des aéroports est un de ses nombreux angles morts. Au moment du renouvellement de la concession, l’Etat n’a même pas tenté de freiner le développement de l’aéroport Paris-Beauvais dont l’avenir est entre les mains des collectivités locales réunies dans le Syndicat mixte de l’aéroport Beauvais-Tillé (SMABT).
Le soir de l’accord avec le nouveau concessionnaire Egis-Bouygues, le 29 avril 2024, sa présidente, l’ancienne maire de Beauvais Caroline Cayeux, avait promis sur France 3 un « développement mesuré » et affiché l’ambition de créer un « aéroport vert avec des parkings respectueux de l’environnement ». Dans son argumentaire, le concessionnaire évoque un seuil de rentabilité à 45 000 mouvements en 2033 après avoir investi 170 millions d’euros pour améliorer l’accueil des passagers dans les deux terminaux. « Notre aéroport est dynamique mais l’infrastructure est vieille et obsolète et n’est pas du tout adaptée à la transition écologique. Il faut améliorer notre capacité à bien accueillir les passagers », affirme Philippe Trubert, directeur du SMABT.
Dans le contrat, aucun plafonnement n’a été prévu. Si une partie des annexes est restée secrète, les opposants ont repéré dans une étude des offres que le nouveau concessionnaire prévoyait une augmentation du trafic à 53 000 mouvements en 2054.
De son côté, le SMABT promet d’être attentif et de mettre la pression sur le gestionnaire si le développement se fait de manière irraisonnée à partir des 45 000 mouvements, tout en mettant en avant l’importance des 1 500 emplois qui dépendraient directement de l’infrastructure. « Et puis, nous répondons aussi à une demande très forte qui vient d’Ile-de-France », admet M. Trudet alors que les bus continuent à faire l’aller-retour entre la capitale et Beauvais. Soixante pour cent des passagers de l’aéroport se rendent ou viennent de Paris, à 80 kilomètres, soit à une heure et dix minutes de route.
Pas de quoi rassurer les opposants. Alors que Roissy tourne à plein régime et qu’Orly a un nombre de mouvements plafonnés (250 000 créneaux par an), beaucoup craignent que l’aéroport Paris-Beauvais ne serve à absorber une hausse des voyages à venir.
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