Aérien : vers une baisse des indemnisations des passagers
Un projet de modification du règlement européen veut porter de trois à cinq heures de retard le seuil de déclenchement des remboursements
Guy Dutheil
L’Europe veut-elle amoindrir les droits des passagers aériens ? C’est en tout cas la démarche de la Pologne, qui a pris, le 1er janvier et pour six mois, la présidence du Conseil de l’Union européenne (UE). Aujourd’hui, les modalités d’indemnisation des passagers, notamment en cas de retards et d’annulations de vols, sont inscrites dans un règlement instauré en 2004. A peine entrée en fonctions, la présidence polonaise a fait de la révision du règlement dit « EU 261 » l’une de ses priorités. Cela en raison du recours de plus en plus fréquent des passagers aux tribunaux, depuis vingt ans, qui épouse la forte croissance du trafic aérien en Europe.
Cette révision est en suspens depuis 2013, faute d’un compromis entre le Parlement européen, la Commission et le Conseil européen (qui représente les Etats membres). Mais sous la pression des compagnies aériennes, les choses commencent à bouger. Andrey Novakov, député européen de centre droit élu sous la bannière du parti Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie, est le rapporteur d’un projet de révision du règlement EU 261 qui pourrait être « discuté vers la fin de l’année », signale Sebastian Loerke, chargé des affaires européennes au sein de l’association Airlines for Europe (A4E). Ce lobby des compagnies aériennes européennes rassemble de nombreux transporteurs comme Air France-KLM, IAG, maison mère de British Airways, et Lufthansa, mais aussi les low cost Ryanair, easyJet ou Volotea.
A l’inverse, Karima Delli, députée européenne Europe Ecologie-Les Verts jusqu’en 2024, et ancienne présidente de la commission transports du Parlement européen, redoute que « les droits des passagers [ne soient] vraiment affaiblis » par cette révision. La Commission européenne, le Parlement et le Conseil veulent durcir les conditions d’indemnisation des passagers. Les trois instances ont établi un calendrier pour le processus. La Commission européenne a déjà publié sa position, basée sur le compromis de 2013, et le projet de loi est en cours de discussion en commission des transports du Parlement européen. Des amendements devraient être soumis d’ici au 25 mars, avant que celui-ci ne soit voté en juin.
Seuil de déclenchement
De son côté, le Conseil européen a pour objectif de définir une position de négociations, c’est-à-dire de dégager un compromis, lorsque les ministres des transports européens se retrouveront, le 6 juin, à l’occasion d’une réunion d’un conseil « transports, communications et énergie ». In fine, le nouveau projet de loi devrait être adopté, à Strasbourg, en séance plénière, sans qu’une date ait été fixée. Aujourd’hui, les compagnies aériennes doivent verser une compensation dès qu’un vol est en retard de trois heures. Celle-ci est de 250 euros pour un trajet de 1 500 kilomètres ou moins, de 400 euros pour les vols de 1 500 à 3 000 kilomètres à l’intérieur de l’UE et de 600 euros pour les liaisons extracommunautaires de plus de 3 500 kilomètres. A l’avenir, l’UE, dans ses travaux préliminaires, voudrait repousser le seuil de déclenchement de l’indemnisation de trois à cinq heures et allonger la distance des vols ouvrant droit à remboursement.
La Commission propose une compensation de 250 euros pour les trajets de 3 500 kilomètres ou moins. L’indemnisation passerait ensuite à 400 euros pour un retard de neuf heures pour les trajets de plus de 3 500 kilomètres dans l’UE ou de 3 500 à 6 000 kilomètres pour des vols extracommunautaires. Enfin, la compensation monterait à 600 euros après un retard de douze heures pour des vols à destination ou venant de pays hors de l’UE et pour des vols de plus de 6 000 kilomètres.
A peine plus généreux, le Parlement propose qu’à partir d’un retard de cinq heures la compensation due aux passagers soit de 300 euros pour des trajets de 2 500 kilomètres ou moins, de 400 euros pour des vols de 2 500 à 6 000 kilomètres à l’intérieur ou à l’extérieur de l’UE, et, enfin, de 600 euros pour les liaisons de plus de 6 000 kilomètres. Karima Delli dénonce le « lobbying incroyable des compagnies aériennes » à l’œuvre, selon elle, derrière ces propositions. Et pour cause : « la plupart des retards sont compris entre trois et cinq heures », de l’aveu même de l’association A4E.
Les compagnies se disent lasses de mettre chaque année un peu plus la main à la poche. Selon une étude de la Commission européenne en 2020, les compensations dépasseraient 3 milliards d’euros par an, et même 4 milliards, selon Sebastian Loerke.
Surtout, souligne-t-il, depuis que les passagers font de plus en plus appel à des agences de recouvrement, qui, selon lui, prennent une commission de « 25 % à 50 % » sur la compensation qu’elles obtiennent. Ces agences, à l’instar des deux leaders du secteur, Flightright et AirHelp, s’inquiètent d’ailleurs d’une révision de la réglementation en vigueur, susceptible de tarir leur manne. Ainsi, Flightright a récolté, à elle seule, quelque 600 millions d’euros auprès de 12 millions de clients depuis sa création en 2010.
L’autre exigence des compagnies est de fixer, « au sein d’une liste non exhaustive, qui pourrait être revue à intervalles réguliers, les circonstances extraordinaires » qui ouvrent le droit à une indemnisation. En raison d’un règlement « peu clair », juge A4E, ce sont les tribunaux ou la Cour de justice européenne qui statuent souvent en faveur des passagers.
A regarder le palmarès, dressé par Flightright, des compagnies les moins ponctuelles en 2024, on comprend aussi l’empressement du secteur à faire réviser la réglementation. Si la portugaise TAP arrive en tête avec 32,1 % de ses vols en retard, parmi les dix premières places figurent easyJet, British Airways ou Lufthansa.