https://www.avweb.com/aviation-news/china-orders-halt-to-boeing-deliveries/?
Source: Le Monde
Boeing victime collatérale de la guerre commerciale
En réponse à la surenchère de Trump, la Chine ordonne à ses compagnies de suspendre toute réception d’avions du constructeur américain
Guy Dutheil
En pleine guerre commerciale avec les Etats-Unis, la Chine a décidé de frapper là où cela fait mal. Selon l’agence Bloomberg, Pékin a enjoint aux compagnies aériennes chinoises de refuser toutes les livraisons d’avions du constructeur américain Boeing. De même, ajoute Bloomberg, qui cite des proches du dossier, les autorités chinoises leur ont aussi intimé « de stopper tout achat d’équipements et de pièces détachées pour avions auprès d’entreprises américaines ».
Ce dernier oukase de Pékin est, à l’évidence, une mesure de rétorsion supplémentaire à la décision de Donald Trump, jeudi 10 avril, de porter les droits de douane américains sur les produits chinois à 145 %. Dans une première réplique, vendredi 11 avril, Pékin avait, à son tour, relevé ses taxes douanières sur les produits américains à 125 %.
Pour l’heure, nul ne sait combien de temps la Chine maintiendra sa barrière douanière, mais elle pourrait encore plus affaiblir un Boeing déjà mal en point. La Chine est l’un des grands clients de l’avionneur américain. Depuis 2014, par exemple, elle lui a passé commande d’environ 700 appareils, dont 580 moyen-courriers, lesquels correspondent à un pactole de plus de 60 milliards de dollars (53,23 milliards d’euros).
En 2024, la Chine a représenté plus de 15 % des livraisons de Boeing, soit 53 avions, selon un analyste financier qui cite les chiffres du cabinet anglo-saxon Cirium, une référence dans le secteur aéronautique. Pour 2025, 49 appareils sont prévus, soit 7,8 % des livraisons. Au total, selon la même source, le carnet de commandes de la Chine chez Boeing dépasse les 200 appareils.
Un arrêt des livraisons frappe directement Boeing au portefeuille : entre 60 % et 70 % d’une commande sont, en effet, payés à la livraison de l’appareil.
Le coup est dur pour Boeing, qui est pleine convalescence. En effet, depuis les deux accidents du 737 MAX, fin 2018 et début 2019, qui avaient causé la mort de 346 passagers et membres d’équipages, l’avionneur américain enchaîne les pertes. En 2024, le montant de sa perte nette a atteint 11,82 milliards de dollars. En six ans, depuis 2019, ce sont même 36 milliards de dollars qui se sont évaporés. Boeing pourrait rediriger sa production vers des clients d’autres régions du monde pour rattraper une partie de son retard. « A court terme, cela pourrait être une opportunité », estime un dirigeant du secteur. Toutefois, l’avionneur ne pourra pas augmenter ses cadences. En effet, tancé pour des problèmes récurrents de qualité de sa production, Boeing s’est vu imposer par l’aviation civile américaine de limiter l’assemblage de ses moyen-courriers 737 à 38 exemplaires par mois.
Fournisseurs dans l’expectative
La guerre commerciale déclenchée par Donald Trump pourrait tourner au désavantage de Boeing. La Chine a d’autres flèches dans son carquois. Selon le président américain, Pékin aurait également renoncé à sa dernière commande de 300 Boeing annoncée en février, lors de la visite du président chinois, Xi Jinping, aux Etats-Unis. Un contrat d’une valeur de 38 milliards de dollars.
Une fois de plus, l’affrontement entre Washington et Pékin pourrait faire les affaires d’Airbus. En 2019, en plein conflit commercial avec l’Union européenne sur les aides publiques à l’aéronautique, Donald Trump, lors de son premier mandat, avait décidé d’imposer des droits de douane de 10 % puis de 15 % supplémentaires sur les livraisons d’Airbus aux Etats-Unis. En réponse, Bruxelles avait imposé les mêmes barrières douanières aux Boeing achetés par les compagnies aériennes européennes. In fine, Airbus, en partie grâce à sa ligne d’assemblage américaine, située dans l’Etat de l’Alabama, avait été moins touché que Boeing par ce conflit.
Ryanair, l’un des meilleurs clients de Boeing, avait annoncé qu’il ne paierait pas de taxes supplémentaires sur ses commandes d’avions. Le patron de la compagnie irlandaise à bas coût vient d’ailleurs de rééditer cette menace. Dans un entretien au Financial Times, mardi 15 avril, Michael O’Leary, directeur général du groupe Ryanair, a indiqué que « si des droits de douane sont imposés sur ces avions, il est très probable que nous pourrions retarder la livraison », le temps que « le bon sens » l’emporte. Il est vrai que Ryanair peut voir venir, car la compagnie affirme ne pas avoir besoin des 25 B737 MAX que Boeing doit lui livrer à partir d’août avant « mars, avril 2026 ».
La position de Ryanair n’est pas isolée parmi les compagnies aériennes concernées par une hausse des prix des avions liée au relèvement des droits de douane. Le 9 avril, Ed Bastian, le directeur général de la compagnie aérienne américaine Delta Air Lines, avait déclaré qu’il refusait de payer les droits de douane sur les avions d’Airbus en provenance d’Europe, dont la livraison est prévue cette année. En réponse, Guillaume Faury, le patron d’Aibus, a rappelé, lors de l’assemblée générale du groupe, le 15 avril, que ce surcoût devait être payé par les transporteurs.
« Les droits de douane doivent être subis par celui qui importe. Lorsque nous exportons depuis l’Europe, depuis Hambourg ou Toulouse, ils doivent être payés par nos clients », a souligné Guillaume Faury. « Evidemment, ils n’aiment pas être dans cette situation, alors nous voyons avec eux comment gérer la situation. Il existe de nombreuses façons et idées potentielles » pour atténuer leur impact, mais il faut d’abord comprendre « la nature et l’évolution de ces droits de douane, ce n’est pas la même chose si vous avez 20 %, 10 % ou zéro », a-t-il ajouté. Pour l’heure, les taxes douanières s’élèvent à 10 %.
Si les turbulences commerciales plongent toute la chaîne des fournisseurs aéronautiques dans l’expectative, certains sous-traitants veulent rester optimistes. Notamment ceux qui ont des sites de production aux Etats-Unis, comme Figeac Aero, un fournisseur français de second rang spécialisé notamment dans les pièces de structures ou de moteurs pour Airbus et Boeing. Son PDG, Jean-Claude Maillard, prévoit « de produire davantage aux Etats-Unis et de gagner des parts de marché notamment sur des pièces produites ailleurs dans le monde pour les Etats-Unis ».