Source: Le Monde
Le développement de l’avion chinois C919 entravé par les tensions internationales
Sur ordre de Washington, les livraisons des moteurs de GE Aerospace et de Safran sont gelées. L’absence de certification de l’appareil aux Etats-Unis et en Europe retarde son expansion
Jordan Pouille
PÉKIN -correspondance
Ses admirateurs l’appellent tendrement le « Dragon blanc ». Le C919 est le fleuron du constructeur aéronautique chinois Commercial Aircraft Corporation of China (Comac) : un avion moyen-courrier d’une capacité de 170 à 190 sièges, un marché occupé aujourd’hui par l’Airbus A320 et le Boeing 737.
Son programme, lancé en 2007 grâce aux financements de l’Etat, a accumulé les retards et l’appareil n’a été certifié par l’Agence de la sécurité aérienne chinoise que quinze ans plus tard, en septembre 2022, pour une mise en service en 2023. Depuis, les livraisons se font au compte-gouttes, puisque seulement 18 avions C919 volent actuellement dans le ciel chinois sur les 1 200 exemplaires commandés, tous par des compagnies aériennes ou des sociétés de leasing chinoises.
Un rythme de production extrêmement faible par rapport aux quelque 600 avions de la famille A320 livrés par Airbus pour la seule année 2024. Et qui ne permet pas de couvrir les besoins actuels des compagnies aériennes chinoises. Résultat : même si le duopole Airbus-Boeing va progressivement s’effriter avec la montée en puissance du C919, les constructeurs occidentaux peuvent s’attendre encore à engranger de grosses commandes en Chine au cours des prochaines années. En particulier Airbus, qui pourrait profiter des conséquences sur Boeing des tensions entre Washington et Pékin. Selon l’agence de presse Bloomberg, l’avionneur européen discute avec la Chine d’une commande de 300 à 500 appareils, à l’été 2025, après un précédent contrat portant sur 300 engins, en 2022.
Processus laborieux
Le principal obstacle à l’expansion du C919 hors de Chine est son absence de certification par la Federal Aviation Administration et l’European Union Aviation Safety Agency (EASA), les autorités d’aviation civile américaine et européenne. Sans elles, impossible de voler aux Etats-Unis ni en Europe. Bien sûr, le constructeur Comac a entamé les démarches, mais le processus est laborieux et, selon des observateurs en Chine, entravé par les tensions géopolitiques. En Europe, l’avion ne sera pas certifié avant trois à six ans, a déclaré, le 28 avril, à L’Usine nouvelle, le directeur de l’EASA, Florian Guillermet. « Comac gère cette problématique de deux façons », explique Lin Hanming, analyste aéronautique indépendant, basé à Canton (Guangzhou). « D’abord, il veut accroître la présence et l’usage du C919 en Chine pour diminuer ses coûts opérationnels et bâtir une équipe de techniciens plus large et plus expérimentée, qui ensuite seront déployés comme formateurs à l’étranger. Ensuite, Comac veut pénétrer tout le marché de l’Asean [Association des nations de l’Asie du Sud-Est], pays par pays. »
De plus, depuis mai, sur ordre de Washington, l’avion ne parvient plus à se faire livrer son moteur, le LEAP-1C, fabriqué par Safran et GE Aerospace aux Etats-Unis. Les équipementiers américains Honeywell et Rockwell Collins sont aussi concernés par cette restriction. Si des négociations sont en cours pour rétablir ces exportations, la menace américaine conforte l’avionneur dans sa volonté de s’affranchir de cette dépendance technique.
Comac travaille pour remplacer, d’ici à cinq ans, le LEAP-1C par un moteur chinois, baptisé « CJ-1000 », construit par Aero Engine Corporation of China. Ce dernier vise une certification entre 2027 et 2030. « Il est en phase d’essais et ses performances ont dépassé mes attentes. Le succès de ce moteur illustrera la résilience de la chaîne d’approvisionnement chinoise », a déclaré, le 28 mars, le président honoraire de la Société d’aéronautique de Shanghaï et ex-directeur général adjoint de Comac, Shi Jianzhong.
« Tant que Comac n’a pas d’avions gros-porteurs, propres aux long-courriers, le marché chinois et du Sud-Est asiatique lui conviennent très bien », éclaire l’analyste Lin Hanming. Un projet de long-courrier est toutefois dans les cartons : le C929. Ce biréacteur de 250 à 320 sièges, dessiné avec la Russie dans sa phase initiale, est censé rivaliser avec l’A350 et le B787. Même si la motorisation du C929 reste le grand point d’interrogation, un premier vol expérimental est espéré pour 2027.