Hydrogène: sa production et son transport

PERTES & PROFITS|HYDROGÈNE

Par Philippe Escande. Le Monde du 24/01/23

Sous les auspices bienveillants des deux icônes de la mythologie européenne, Charles de Gaulle et Konrad Adenauer, Français et Allemands ont renoué avec une vieille tradition : l’alliance technologique. A l’occasion de l’anniversaire des 60 ans du traité de l’Elysée, le 22 janvier 1963, les deux alliés n’ont pas parlé seulement du soutien militaire à l’Ukraine, mais aussi d’hydrogène. Un sujet plus pointu en apparence, mais qui pourrait constituer l’un des piliers de la transition énergétique.

La déclaration finale, publiée dimanche 22 janvier, prévoit la mise en place d’une feuille de route pour développer la production, le transport et l’usage de ce gaz, dont la vertu principale est de ne pas être un gaz à effet de serre. Pour concrétiser cet engagement, ils ont décidé que le futur hydrogénoduc marin qui sera construit entre Barcelone et Marseille poursuivrait sa route le long du Rhône, en direction de l’Allemagne.

Berlin participera donc au financement de cette infrastructure, dont le coût est estimé à 2,5 milliards d’euros et qui pourrait, à terme, transporter 2 millions de tonnes d’hydrogène vers la France chaque année, soit, selon Madrid, 10 % des besoins estimés de l’Europe.

Mais quels seront réellement ces besoins ? Il n’est pas facile d’y voir clair, tant la technologie est encore balbutiante et les hypothèses, nombreuses. L’hydrogène peut d’ores et déjà être utilisé pour propulser des voitures, des camions, des trains ou des bateaux, afin d’alimenter des aciéries, des cimenteries, des papeteries. Pour l’heure, l’essentiel de la production provient du raffinage du gaz naturel et son bilan carbone est catastrophique. Il peut se produire par électrolyse de l’eau, mais avec une forte consommation d’électricité.

Qui plus est, le rendement est faible. Si l’on produit de l’électricité, convertie en hydrogène, puis reconvertie plus tard en électricité, on ne récupère que 30 % de l’électricité initiale. Cela n’a donc de sens que pour absorber une production excédentaire à coût nul, de type solaire ou éolien. La France développe cette voie, en favorisant la formation de clusters où sont couplées de l’énergie renouvelable, de l’hydrolyse et de la consommation.

Approches différentes

Aiguillonnée par la fin du gaz russe, l’Allemagne voit les choses différemment. Pour elle, l’hydrogène doit remplacer à terme le gaz naturel et alimenter ses industries et les transports lourds, comme les gros camions. Elle cherche donc à adapter son vaste réseau gazier à cet enjeu. D’où son insistance pour accéder aux gazoducs qui relieraient l’Espagne et la France. A court terme pour approvisionner le pays en gaz fossile, puis, à long terme, pour le remplacer par l’hydrogène.

Elle est prête pour cela à devenir un gros importateur. Car, paradoxalement, les principaux producteurs d’hydrogène ont de grandes chances de ne pas être européens ; ce sont même les moins vertueux en matière climatique : Etats-Unis, Australie, pays du golfe Arabo-Persique. Avec des champs solaires géants, mais aussi en produisant à partir de gaz fossile dans des raffineries équipées de systèmes de capture de carbone. Une tout autre vision des choses.

Comme autrefois avec l’informatique, l’aéronautique ou encore le nucléaire, la collaboration franco-allemande est menacée dès sa naissance par deux approches bien différentes du sujet. Dans tout couple, ce qui importe dès le départ, c’est d’être certain de regarder ensemble dans la même direction. En 1963, en dépit des effusions, le général de Gaulle se posait déjà la question.